(Publié sur Légavox le 11 janvier 2021 mais déplacé ici en raison d'un succès insuffisant, avec moins de 1000 lecteurs en 3 ans)
Le fait, pour un internaute ayant commis une infraction en ligne, d’injurier en privé un autre internaute pour le faire taire à propos de cette infraction, constitue une tentative de subornation.
Injures et habitat
Les gardiens d’immeubles, les syndics, les copropriétaires, les locataires, les associations défendant les locataires, leurs salarié-e-s ainsi que les avocat-e-s intervenant en droit de l’immobilier sont habitué-e-s à recevoir des injures.
Si les associations agréées dans le domaine du logement ont du mal à attirer de nouveaux membres, c’est notamment en raison de cette triste réalité. Toute association qui conteste des pratiques problématiques s’expose à recevoir des tentatives d’intimidation truffées d’insultes.
Pour ceux qui veulent consulter le catalogue des injures ayant donné lieu à des condamnations, il faut lire deux remarquables articles (Pascaline DÉCHELETTE-TOLOT, « Diffamation/injure en copropriété », Administrer, n° 515, pp. 10 à 15).
Il suffit d’aller sur Facebook pour constater que des salarié-e-s d’associations agréées sont injurié-e-s publiquement. Ce n’est pas un phénomène isolé.
De nombreuses structures intervenant dans le domaine de la solidarité vivent les mêmes problèmes, avec les difficultés de recrutement que cela peut ensuite induire (Pascale Dominique RUSSO, Souffrance en milieu engagé. Enquête sur les entreprises sociales, Paris, Editions du Faubourg, janvier 2020, 179 p.).
Ces soucis doivent être anticipés par une organisation institutionnelle adaptée. Voilà pourquoi il est essentiel de décrire les infractions dont les personnels, les dirigeant-e-s et les membres des associations agréées intervenant dans le domaine du logement doivent être protégés.
Pandémie d’injures de trolls
Nous vivons aux temps du capitalisme violent, dont le symbole est le pygargue à tête blanche, c’est-à-dire le rapace qui plonge sur les balbusards pour leur faire lâcher leur pêche.
De nombreux individus ont érigé des fortunes par la tromperie, la captation illicite et l’exploitation de personnes vulnérables. Cet exemple est toujours susceptible de nous fasciner, même de manière implicite. Il en résulte une tendance fâcheuse à utiliser l’intimidation dès que nos aspirations sont contrariées.
Le troll est celui qui pratique l’intimidation en ligne pour faire taire ses contradicteurs, soit en étant désagréable et de mauvaise foi, soit en employant l’injure pour tenter de déstabiliser ses interlocuteurs.
Il est vrai que l’injure privée n’est qu’une contravention.
En effet, selon l’article R 621-2 du Code Pénal : « L'injure non publique envers une personne, lorsqu'elle n'a pas été précédée de provocation, est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe. »
L’injure ou la mauvaise foi sont évidemment provocatrices.
Subornation et remobilisation
Néanmoins, lorsqu’un troll injurie une victime d’injure pour la faire taire si elle compte se plaindre, les données changent.
En application de l’article 434-5 du Code pénal :
« Toute menace ou tout autre acte d'intimidation à l'égard de quiconque, commis en vue de déterminer la victime d'un crime ou d'un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »
Chacun peut noter l’expression « à l’égard de quiconque » !
Ce délit est très facile à prouver, et les trolls ont beaucoup de mal à se retenir de le commettre. L’intimidation est une notion bien plus large que l’injure non provoquée.
Celui qui injurie le salarié, partenaire économique, ou l’actionnaire d’une entreprise victime d’une infraction, ou bien l’avocat voire le membre d’une association agréée qui assiste la victime d’une infraction, doit donc à tout prix éviter de demander à son interlocuteur de se taire à propos de ladite infraction.
Les contraventions, comme l’injure privée, se prescrivent par trois ans (article 133-4 du Code Pénal) alors que les délits se prescrivent par 6 ans (article 133-3 du Code Pénal).
Or, les salariés, les partenaires économiques, les actionnaires, les avocats et les associations agréées qui subissent un acte de subornation ont tout intérêt à se concerter avec la victime principale des actes du troll.
Une fois qu’un délit de subornation est commis, la victime du délit originel a tout intérêt à soutenir celui qui fait l’objet de la subornation. C’est un facteur de légitimation et de consolidation des positions des avocats, des associations agréées et des partenaires économiques des entreprises.
Trolls injurieux, tenez-le pour dit ! En injuriant pour faire taire, vous rendez service à vos adversaires tout en vous fragilisant vous-mêmes au plan stratégique, et cela pour 6 ans…